• - La démocratie se meurt. Vive la démocratie !

    Apéritif

    Partie 1 - Les zones d'ombre de l'imaginaire de gauche que la démocratie directe éclaire.

    Partie 2 - à venir...

                           

                         La démocratie se meurt.

                           Vive la démocratie !

     

                                                                                              Maxime Vasseur      

     

     

    « S’ils arrivent au trône par des moyens divers, leur manière de régner est toujours à peu près la même. Ceux qui sont élus par le peuple le traitent comme un taureau à dompter, les conquérants comme leur proie, les successeurs comme un troupeau d’esclaves qui leur appartient par nature »...

    ...« Les hommes nés sous le joug, puis nourris et élevés dans la servitude, sans regarder plus avant, se contentent de vivre comme ils sont nés et ne pensent point avoir d’autres biens ni d’autres droits que ceux qu’ils ont trouvés ; ils prennent pour leur état de nature l’état de leur naissance ».

    Étienne de La Boétie – De la servitude volontaire ou le Contr'un - 1548

      

     

     Apéritif.

     

    « Se pose alors la question décisive : Si l'avenir n'était pas notre affaire, de qui serait-il l'affaire, en somme ? Le renoncement à nos désirs devant le « fait » tuerait tout avenir réel, vivant, changeant, pour laisser force au seul passé projeté dans le vide, en d'autres termes : à l'utopie réactionnaire ».

    Denis de Rougemont 1

     

     

    Avec ses défauts, son ton parfois pugnace et ses crochets du gauche, ce travail d'écriture engagé aimerait participer au pot commun de la réflexion et de l'action désireuses d'une grande transformation. Dans ce sens, comme bien d'autres contributions, il touche d'abord au nécessaire et difficile processus de libération de nos imaginaires éduqués à la très vieille domination consentie 2.

    Il se place résolument entre le spontanéisme pur et dur (la lutte sociale qui se radicalise n'a nul besoin de propositions pour inventer son chemin révolutionnaire) et l'encadrement plus ou moins directif (appliquer une analyse et un programme élaborés préalablement par une avant-garde politique intellectuelle).

     

    Si le 20ème siècle fut celui de la libération du colonialisme et du totalitarisme d'Etat, le 21ème devrait être celui de la poursuite de la désertion du système représentatif.  Celle-ci est une invitation (à ne plus éviter) à aller plus avant dans la libération du pouvoir concentré, de son archaïsme obsolescent. Cela veut dire ne plus seulement regarder ce que ce système démocratique a montré de façon spectaculaire, mais déterrer sa racine. Pour éviter que cela se traduise par un abandon de l'idée même de démocratie sous les chants de diverses sirènes des droites réactionnaires (un pas a été fait dans un certain nombre de pays), il importe de montrer maintenant qu'une démocratie directe - une souveraineté populaire réelle - est possible. Dire tout haut que l'Etat n'est pas autre chose que ce qu'il est : l'instrument politique de la domination-soumission des peuples par les mieux dotés. Il n'est pas cet autre que l' « on » imagine, par exemple celui dont les gauches rêvent, y compris celles qui se veulent radicales. 

    Tandis qu'il est débarrassé de ses frères ennemis en pouvoir concentré - le socialiste et le communiste - notre Etat libéral démocratique se rapproche (curieusement ?) d'un Etat autoritaire pour ne pas dire néo-totalitaire.

    Il y a sa facette tolérante en matière de mœurs et son libéralisme culturel et informationnel qui concerne surtout les classes supérieures. Il y a surtout la cascade de dégradations concrètes de son ultra libéralisme idéologique mis en actes partout par les Etats. Ladite cascade nécessite de soumettre avec de plus en plus de force et d'arbitraire la population, particulièrement celle qui est la plus touchée dans son existence concrète. Et parmi elle, la partie qui le fait collectivement et publiquement savoir. La réalité lourde (au point qu'encore peu sont prêts à la porter 3) de notre temps, c'est que l'Etat n'est plus représentatif ou ne peut plus donner l'illusion de l'être.

     

    La première partie de ma réflexion s'inspire de multiples et longs échanges amicaux et des mêmes propos lus ou entendus aussi ailleurs. Ceux-ci expriment des idées partagées et répétées au fil des dernières années, au point que la réflexion personnelle qui voudrait pourtant y avoir une place centrale, tend à s'en absenter, au moins sur certains sujets. La démocratie directe ou si l'on veut la révolution démocratique en est un. L'élitisme qui interdit son imaginaire est un élément lourd de l'essentialisation de la domination. L'élitisme traverse les évolutions de la société et même ses soubresauts sociaux et politiques sans jamais disparaître. Par ailleurs, les révolutions constamment interrompues dans leur dynamique de rupture et de radicalité, n'ont pas eu l'heur de bousculer, ni la domination ni l'élitisme qui l'alimente. 

    Cette partie propose de répondre à ces idées manquant d'autonomie en s'efforçant de les contextualiser et donc en quelque sorte de les « dessentialiser » : montrer d'où elles viennent et pourquoi elles ont ce contenu. Et c'est aussi les confronter au réel et en tous cas à la lecture d'un réel qui soit la moins influencée par nos positions sociales personnelles. Mes fréquentations privilégiées « spontanées » se situent surtout dans les catégories cadres et professions intellectuelles et dans les professions intermédiaires.

    De manière globale, cette lecture veut être la moins troublée par le discours dominant, y compris critique, porté par les élites, par le monde du pouvoir politique et par les médias. Et parmi ces derniers bien sûr, il y a la manipulation spectaculaire du réel faite par les « mainstream », propriétés d'une poignée d'hommes d'affaires du haut du panier des plus riches.

     

    Relativement à son histoire personnelle et à sa capacité d'évolution, chacun a son propre étonnement devant les faits et privilégie tel ou tel objet de critique. Cela dit, au regard de l'histoire de la démocratie représentative, je m'étonne que beaucoup d'individus continuent à s'étonner au fil des années que son règne et ses élections s'accompagnent de la dictature planétaire de l'économie et de l'argent. Car tout au long de son histoire, le mode représentatif coexiste avec le développement industriel et financier de ce système économique, depuis sa naissance d'abord violente (le « capitalisme sanglant ») jusqu'à sa libéralisation (politique) accélérée des dernières décennies. Devant tel ou tel élément de cette situation - pratique économique, décision politique ou phénomène social - il est courant d'entendre ad nauseam des propos du genre : «  ce n'est pas normal », « je ne comprends pas pourquoi... », « ça m'énerve que l'Etat... ». Ils sont souvent suivis de récriminations répétées de la même manière, contre le pouvoir de droite si on est de gauche ou contre le pouvoir de gauche si on est de droite. 

    Ce sont autant de signes d'une incapacité à voir la réalité non idéologique du pouvoir concentré de la démocratie représentative.

     

    Cette incapacité qui conduit à ce voilage, c'est aussi ne pas voir cette réalité indépendamment de sa situation sociale personnelle. « Cachez ce sein que je saurais voir » fait dire Molière à Tartuffe. Comme pour maintes autres croyances apprises et transmises, c'est le résultat transgénérationnel d'un imaginaire éduqué au consentement qui bloque sur un corpus de mythes : « ceci est la démocratie ou sinon c'est un régime totalitaire liberticide » – « l'Etat peut être différent selon qui le tient ; il a une main gauche et une main droite » - «  l'économie peut être dirigée tout autrement, si le résultat des élections est autre » - « l'Etat est nécessaire, il est l'ordre et la sécurité. Sans lui, ce serait la jungle, le chaos et le meurtre »... Sans parler de la mythologie républicaine qui dissimule un élitisme qui, de l'antique au contemporain, n'a rien à envier au mode de pouvoir aristocratique. Une mythologie qui à droite comme à gauche veut faire de la république le terreau de la neutralité au moins potentielle de l'Etat, de la justice et de LA démocratie. 

    Il y a ces croyances troublant la raison qui peuvent trahir les faits et stériliser les imaginations. Et puis il y a la réalité : consacré depuis près de deux siècles par le monde du pouvoir, lui-même consacré par les élections, le système capitaliste poursuit son « épanouissement ». Unanimement accompagné par les appareils d'Etat dans une domination abîmant à des sommets jamais atteints ce qui devrait compter par dessus tout – la vie et la planète – il va son chemin d'excès et de prédation à rythme croissant.

     

    Mais « bonne » nouvelle cependant (logique systémique, en réalité), sur fond de crise chronique, sa décomposition est jumelle (siamoise) de la dégénérescence de la démocratie représentative et de la montée de son boycott. Et pour cause, de plus en plus nombreux, « on » voit bien que ses gouvernements se succédant, les dégradations se poursuivent. Elles se poursuivront car c'est elle qui permet à cette économie globalisée pourvoyeuse de dégâts accrus de survivre à ses contradictions et aux crises récurrentes qu'elles produisent. Les mesures politiques prises ont pour effet dominant d'accompagner les dégâts ou plus précisément, de ne pas réduire leur croissance et leur ampleur. 

    Peut-on relever là le fait que dans le même temps, la critique fondamentale survenue très tôt (au 19ème  siècle) d'un mode politique et d'une économie totalement fondus dans un système, fut reniée à gauche. On peut faire l'hypothèse qu'elle le sera durablement sinon définitivement.

     

    Ma réflexion pointe l'illusion que signifient quelques réformes particulières, fussent-elles perçues comme profondes et enclencheuses de rupture. Ces propositions récentes jugées à effet domino, telles que le RIC (référendum d'initiative citoyenne), le lancement d'une constituante, la présentation aux élections d'un candidat atypique ou d'une liste par exemple tirée au sort, etc... peuvent enthousiasmer par le sentiment plutôt réflexe qu'elles sont simples, accessibles et donc réalistes. C'est l'idée de l'élément-maître interne que l'on change ou que l'on ajoute dans le régime politique et qui va changer tout, ou qui va en tous cas transformer profondément l'Etat dans le sens d'une plus grande souveraineté du peuple 4.

    Est sollicitée ici une disposition d'esprit forte ou faible, refoulée ou non que nous avons, nous humains, à vivre un peu de magie. Elle se mêle à une autre disposition, normalement dominante dans notre culture, qui s'efforce de rendre intelligible le réel. C'est pourquoi sans doute, la simplicité d'un côté et de l'autre la relative variété des propositions peuvent fabriquer les adeptes de ce réformisme citoyen paresseux. Il est la fois minimaliste (l'angle d'attaque l'est) et maximaliste (son résultat), modéré (on ne change qu'une chose) et révolutionnaire (tout change), uniciste (l'élément-clé) et pluriel (il y a plusieurs propositions).

    Par ailleurs, comme toutes les réformes, celles-ci sont du ressort de l'Etat : président, gouvernement, parlement, cour constitutionnelle. Ces décisions et mesures concrètes de suppression du monopole de leur pouvoir leur reviennent. Cela signifie que ce monde d'individus qui jouissent du pouvoir le plus élevé, de ses grands privilèges et qui s'en construisent psychologiquement, culturellement, collectivement et socialement, soient ceux-là même qui choisissent d'y renoncer en partie voire d'y mettre un terme. Voilà une curiosité que les imaginaires de gauche soutenus par leur entre-soi idéologique de l'époque, ne sont pas enclins à interroger.

     

     

     

    Partie 1.

     

     

    Les  zones d'ombre de l'imaginaire de gauche

      que la démocratie directe éclaire.

     

     

    « ...si le tyran veut maintenir sa domination, il doit trouver un autre stratagème pour les gens instruits. C'est là « le secret et le ressort de la domination, le soutien et le fondement de toute tyrannie » : rendre ces gens « complices » des « cruautés » du tyran, les asservir en leur donnant l'occasion de dominer d'autres à leur tour. Ce sont donc les " courtisans "  qui se font les complices de la tyrannie, perdant du même coup leur propre liberté. Certains hommes flattent leur maître espérant ses faveurs, sans voir que la disgrâce les guette nécessairement, devenus complices du pouvoir. Ainsi se forme la pyramide sociale qui permet au tyran d’« asservir les sujets les uns par le moyen des autres ». La résistance et l'usage de la raison sont donc les moyens de reconquérir la liberté. https://fr.wikipedia.org/wiki/Étienne_de_La_Boétie 

     

     

    Mise en bouche.

     

    La démocratie représentative qui nous gouverne dans le même temps historique où se développent le capitalisme et la pandémie mercantile, n'est plus vraiment appréciée aujourd'hui. Le renforcement de l'éducation au vote dispensée par le monde du pouvoir, dans les médias et à l'école ne ralentit que fort peu une désaffection dont le sens politique et la portée systémique sont majeurs. Les inscriptions automatiques sur les listes électorales (depuis 1997) des jeunes atteignant 18 ans, la fébrilité citoyenniste conservatrice des institutions politiques 5 et sa communication largement relayée, tout cela ajouté à l'agitation de l'épouvantail électoral de l'extrême droite ne parvient pas à enrayer, loin s'en faut, la montée continue d'une décroyance. A moins qu'il s'agisse plutôt de la levée d'une illusion. Quoi qu'il en soit, cette montée s'observe sans faille depuis plusieurs décennies. A moins de vouloir croire au miracle, on ne voit pas dans le maintien du système politique et économique actuel ce qui pourrait arrêter le phénomène.

     

    Que l'on voit cette démocratie en trompe l'œil comme obsolescente ou comme originellement oligarchique pour ne pas dire bourgeoise, nous sommes et serons de plus en plus nombreux à penser qu'elle doit être dépassée. En matière de niveaux de transformation, les souhaits sont divers mais la réflexion est encore loin d'être massivement partagée. Après le long silence de la masse des vaincus, les révoltes qui se sont développées en France et dans maints autres pays sans s'éteindre vraiment, indiquent qu'au-delà des personnages occupant le pouvoir, c'est le vieux système politique qui est visé. Alors, ont bien tort celles et ceux qui, pour des raisons personnelles troubles ou par aveuglement idéologique, en font un ingrédient de leur présent déni de prendre la mesure d'une telle désertion électorale 6.

     

    Cette désertion croissante est une réaction somme toute logique, tant les dés sont pipés et tant l'imposture de la représentation apparaît plus spectaculaire que jamais. Il n'empêche que la chose politique – déterminer les grands choix collectifs à tous niveaux territoriaux et comment ils le sont - fait plus que nous regarder. C'est sans doute aussi parce que le choix (ou l'illusion d'un choix) n'existe plus avec la démocratie représentative que les déserteurs se multiplient 7. Ces choix touchent maints domaines de notre existence quotidienne. On pourrait dire qu'au travers de ses innombrables décisions, la chose politique concerne presque tout. Elle fait partie de notre existence et contraint chacun sans exception. Elle est notre affaire à tous, sauf à accepter de continuer à déléguer et à subir. Sauf à se contenter de réagir parce que l'on continuerait à renoncer à notre pouvoir individuel de coproduire notre société (à propos de ce pouvoir « de », voir la note n°22 de bas de page). Sauf à voter pour des candidats présentés comme différents, eux-mêmes martelant que contrairement aux autres, ils feront ce qu'ils disent. Ils promettent la rupture mirage qui consiste en gros, à assurer la sécurité attendue par tous et la poursuite de la fête collective de la consommation, durable cette fois, grâce à un emploi et à un revenu dignes pour chacun. Tout cela dans la même soumission à l'économie, à la même compétition, mais cette fois gagnante pour tous ou presque tous.

     

    Vouloir voir encore et subir, c'est aussi voter pour un candidat surgi du chapeau des médias mainstream, voter pour une femme ou un homme riche ou ultra riche qui a réussi dans les affaires très privées ou espérer d'un petit génie politique unificateur, ni gauche , ni droite , ni centre.

    En matière de fuite en avant, le réservoir d'atypiques à essayer n'est pas épuisé. il reste les vedettes de télévision, les personnages publics préférés des Français, un paysan-philosophe à bretelles et sandales, un comique populaire ou un professeur de médecine marseillais, etc... Les patrons des grands médias et leur cohorte de mercenaires ne manquent pas non plus de motivation pour nous désigner dans une quasi unanimité le bon maître différent. Surtout, ils ne manquent pas de moyens matériels, d'espaces d'expression et de collaborateurs pour qu'il soit élu, en leur « âme et conscience » par des électeurs obéissants toujours moins nombreux.

     

    La chose politique n'est pas le choix personnel d'une option parmi de nombreuses, comme s'intéresser à l'art ou préférer la nature, s'adonner à tel sport, à telle technique de développement personnel ou bien au bricolage, avoir une vie sociale large ou sélective.

    Écarter le politique de sa vie, c'est devenu courant mais c'est manquer une part de son humanité.

    Ce pouvoir propre à l'humain d'être réellement acteur, plutôt qu'instrument de ce qui compose en bonne partie son destin, est constitutif de notre espèce. Il nous offre une liberté totalement inconnue des autres êtres vivants, une pleine capacité à choisir et à agir. Une telle capacité ne se réduit pas à choisir (quand on le peut) sa propre existence dans un cadre contraignant et constamment imposé. N'en déplaise aux croyants ou aux routiniers du spectacle électoral, ce cadre est d'autant plus imposé que toutes les décisions concrètes d'ordre majeur ou mineur sont prises par un pouvoir concentré qui, quel que soit le niveau hiérarchique, bénéficie d'un chèque en blanc. Celui-ci est la substance même de la représentation.

     

    De bas en haut de la pyramide du pouvoir, ses gagnants proviennent du monde des grands bénéficiaires du système ou les rejoignent. Privilèges, honneurs, réseaux, argent et pression de l'argent, composent le cocktail variable qui est servi quotidiennement à chacun d'eux, entre autres dans les lieux qui les font se croiser. Autant dire que l'immense majorité des élus.es (des arbustes ne cachant pas la forêt) ne peut être que conservatrice, à l'instar des riches et des ultra riches. Et c'est bien sûr un conservatisme qui très logiquement augmente du bas vers le haut. On est toujours bien au-delà du niveau moyen de celui de la masse des individus ordinaires aux intérêts personnels ordinaires.

     

    Vivre cette part politique de son existence d'humain, c'est plus précisément prendre avec les autres toutes les grandes décisions (au moins elles), celles qui déterminent et orientent puissamment, concrètement, souvent durablement et parfois transgénérationnellement notre vie dans la société. Au travers d'elles, dire nos priorités, définir le sens que nous nous donnons collectivement et son vaste concret, affirmer les relations que nous désirons avec les autres peuples, construire un tout autre rapport à la Terre et au vivant. Décider de changer ce qui ne va pas et de conserver ce qui convient.

    Au contraire, en nous privant de cette dimension qui participe à nous faire chacun humain et ensemble un peuple en capacité de s'autodéterminer, nous réduisons nos existences et la liberté potentielle qu'elles contiennent. Surtout, nous sommes collectivement impuissants à infléchir une trajectoire de non choix s'affirmant au présent de plus en plus totalitaire. Nous subissons les conséquences sociales, écologiques, économiques, l'enchaînement des régressions, tout ce qui résulte de ce réflexe éduqué d'abandon.

     

    Dans ce contexte d'une dégradation largement ressentie, c'est pour bon nombre d'entre nous, se mettre la tête dans le sable d'un quotidien encore satisfaisant grâce à un surcentrage sur soi (son nombril, son plexus solaire ou ses chakras) et sur son réseau relationnel. La longue culture de l'égoïsme 8 a peu à peu produit, y compris chez des individus non dénués d'éthique et de sens social, un grand « extérieur » à soi et aux siens et cette forme d'indifférence à lui.

     

    On peut par exemple se contenter de râlements récurrents et solitaires devant l'actualité quotidienne fournie par les médias. On pourra toujours ensuite les réitérer de concert avec ses amis et son réseau politiquement consanguin. Il n'est pas seul concerné, mais le petit monde des plus instruits se nourrit d'autant mieux de la brochette médiatique de faits désastreux, qu'ils sont saupoudrés d'épices intellectuels. Le flot d'analyses critiques savantes sans cesse retoquées et radotées ne tarit jamais. Il répond à une soif créée par la sécheresse des imaginaires (en particulier de gauche) embourgeoisés. Cela fait vivre les doctes leaders d'un marché dont l'offre et la demande sont ainsi particulièrement dynamiques.

     

    D'une certaine manière, on peut rattacher un tel marché au secteur florissant des produits de luxe. Ce secteur participe à transfuser un capitalisme au long stade terminal dont les plus grosses artères de croissance et de profit se rétrécissent peu à peu. Comme chacun le sait ou presque, le marché du luxe prospère parallèlement au constat fait par une majorité de la population d'une dégradation de sa vie concrète. Le principe des vases communicants est très loin d'être absent d'une logique de partage des fruits de l'activité économique en situation de domination de classe renforcée par l'économie-casino. Il y a de manière insupportable l'appauvrissement simultané d'un nombre croissant d'individus et de familles. Et pour une part d'entre eux, il y a le retour d'une malnutrition et même de la faim (constat fait entre autres depuis pas mal d'années dans les écoles).

    Toute cette affaire du présent commun et de notre avenir proche devient d'autant plus notre affaire qu'au regard des chiffres décrivant la progression continue des refus d'élire 9 pour toutes les élections, nous avons pour certaines atteint la majorité 10.

     

    Alors quoi, au vu de tout cela, des petites réformes ou des décisions plus profondes ? Venant du pouvoir politique au sommet tel qu'il se renouvelle inlassablement sans nouveauté ? Ou sinon, venant de qui et comment ? Des élus révocables qui auront eux-mêmes légiféré leur révocabilité et sévèrement autolimité leur pouvoir ? Avec par exemple le gouvernement d'une vraie gauche sociale et écologique à l'écoute du corps social et servant enfin les idéaux de justice, la dignité des anciens « riens » et le bien commun ? Avec un pouvoir politique devenu très fort et réellement en capacité d'agir grâce à l'appui d'une mobilisation citoyenne  suffisamment exigeante et permanente ? 11

     

    Ou, en rupture avec ces scénarios qui conservent la logique inextricable du pouvoir concentré et son bouquet d'illusions : accepter la fin d'un (bien étrange) pouvoir du peuple attribué à une élite et le début d'une réelle démocratie. Penser et participer plus librement à la mise en place d'une démocratie directe qui laisse le pouvoir à la base. Un pouvoir partagé par le peuple, depuis les communes jusqu'à son organisation technique aux échelons territoriaux supérieurs. Préférer ce chemin d'utopie concrète sans inhibition ni naïveté, à celui de l'espoir vain, renouvelé par un discours dominant à multiples facettes et abondamment distillé. Sous toutes ses formes, ce discours converge vers une injonction au pragmatisme et au réalisme d'un réformisme prudent, alors que les faits montrent qu'il n'a vraiment rien de prudent, rien de raisonnable et donc rien de réaliste.

     

    Si les idées de réformes plus ou moins importantes, dispersées ou reliées, commencent à être assez largement débattues, principalement dans les gauches, il y a de multiples réticences à envisager cette voie de rupture et de re-création que signifie une démocratie directe. La portée transformatrice et historique inédite qu'elle contient, dérange les conservatismes revendiqués ou qui s'ignorent. Elle fait peur aux esprits routiniers et aux imaginations craintives que nos vieux pays développés ont favorisés.

    Les blocages sur le rapiéçage d'un système politique à ce point usé, qui au mieux accompagne les dégradations cumulatives et qui au pire pense et légifère leur développement dangereux, ne relèvent ni du bon sens, ni du raisonnement lucide 12.

     

    « L'utopie réactionnaire » qu'évoque Denis de Rougemont trouve dans ce rapiéçage variable une expression dont la droite n'est plus politiquement la seule porteuse. Plus globalement, le déni de réalité et cette utopie réactionnaire permettent le confort illusoire, non durable et fort peu courageux en fin de compte, d'une barque qui prend l'eau. Peu à peu, des embarqués débarquent, mais parmi ceux qui continuent de s'y bercer, les individus des catégories sociales supérieures sont particulièrement nombreux encore. Ce qui semble traditionnellement logique à droite, ne l'est pas vraiment à gauche. Sauf que l'ascension sociale pour un certain nombre d'individus et le degré de liberté individuelle qu'elle ajoute, ont fait glisser ces camarades vers un néo-conservatisme étonnant. L'entre-soi aide au masquage de l'embourgeoisement personnel 13, à l'endormissement cotonneux d'un imaginaire qui perd en capacité d'éveil, de lucidité et donc de critique.

     

    Après quelques deux siècles de ce que l'on peut nommer un déguisement démocratique et une belle supercherie inscrite dans la longue histoire de la domination, supercherie dont nous avons appris au fil des générations à nous satisfaire, nous sommes devant un choix historique : 

    - soit continuer à accepter un imaginaire falsifié qui produit des approximations sémantiques, des identifications ânonnées et des défaillances de la raison : démocratie = élection (et réciproquement), notre liberté (très inégale selon notre appartenance sociale) de dominés = démocratie, notre situation personnelle fort acceptable = le système est ou reste positif. 

    - soit co-construire avec courage et patience une véritable démocratie : une démocratie qui ne tord pas le sens du mot, qui ne trahit pas le principe sine qua non qui fonde ce système : le peuple est souverain 14.

     

    Entre les deux choix, il y a les diverses réticences à l'auto-gouvernement du peuple. Toutes reposent cependant sur le même socle, depuis que la démocratie représentative déroule la domination politique d'une élite essentiellement issue des classes supérieures. C'est une réalité politique et sociale dont l'histoire se confond avec celle du capitalisme industriel. La démocratie directe est-elle possible ou est-elle impossible ? On peut débattre indéfiniment de cette question, de préférence en des occasions agréables. Ce qui ajouterait aux nombreuses autres conversations demi-mondaines qui font tourner en rond, agréablement, en attendant... quoi au fait ?

     

    Il n'y a pas à attendre « la mécanique des faits ». Avant qu'ils s'imposent à nous pour le meilleur ou plus probablement pour le pire, j'aimerais dire ici que la démocratie directe est une nécessité pour qu'une construction collective du meilleur (ou sa chance) éclipse la mécanique du pire.

     

    Un régime représentatif refondé ?

     

    Dans son dernier livre 15, François Ruffin plaide pour une union de la « petite bourgeoisie culturelle et des classes populaires » : « l'union du vert et du rouge ». Il en fait la clé nécessaire de la grande transformation - penser et dépasser le capitalisme, sa logique foncièrement individualiste et inégalitaire, sa course au profit, son productivisme pathologique et sa religion technophile qui mettent en danger jusqu'à la survie de l'espèce humaine. Dans cette union, les rôles sont distincts et vus comme complémentaires. A la « classe intellectuelle », vont la pensée et l'exercice du pouvoir et aux classes populaires le rôle de stimuler, d'insuffler aux intellectuels la direction pratique à prendre, de la leur rappeler autant de fois que nécessaire. Ruffin postule qu' il existe une conscience commune, entre la partie vraiment de gauche de la classe intellectuelle (de la petite et moyenne bourgeoisie précise-t-il plus loin) et les classes populaires. Et que leurs intérêts sont en très grande partie les mêmes autour de deux axes : réduire les inégalités et réduire notre consommation d'énergie et de ressources naturelles. Outre le caractère discutable de tout postulat, celui-ci pèche par simplification et projection, plus romantiques que raisonnées.

     

    De fait, le commun idéologique et politique ne peut éliminer ce que les écarts de situations économiques et sociales concrètes des uns et des autres induisent comme différences déterminantes. Or, celles-ci révèlent toujours plus ou moins rapidement leur poids.

    La pratique du pouvoir concentré, sa nature et les nombreuses contraintes qui pèsent sur lui de manière avérée et par ailleurs croissante, ajoutent à ces écarts. Tout ça transforme en fossé ce qui sépare pouvoir concentré 16 et gouvernés, les classes populaires d'abord. Le grand éloignement économique, culturel et symbolique entre ces dernières et la ou les classes supérieures et leur partie au pouvoir crée un antagonisme structurel des situations et des intérêts avec les gouvernants.

     

    L'analyse de François Ruffin, conformément à celle qui s'exprime majoritairement aujourd'hui à gauche, garde le régime représentatif tel qu'il distribue inégalitairement les rôles. Quelles que soient les variations dans le discours, le pouvoir concentré demeure. La démocratie directe est explicitement écartée lorsqu'elle n'est pas parfois jugée absurde, par exemple par Emmanuel Todd ou Marcel Gauchet, pour ne citer que ces deux-là 17. Le premier étant en grande estime des médias et des évènements de gauche.

     

    Chez Ruffin, on change les détenteurs (grands) bourgeois du pouvoir concentré et on projette qu'ils appartiendraient désormais aux « petits » et aux « moyens » qui se revendiquent de gauche et très différents. Dans l'engagement constitutionnel du programme politique et d'une nouvelle république, on change certaines règles de la représentation (par exemple, une révocabilité possible des élu.es) et de la vie démocratique (RIC : référendum d'initiative citoyenne...). Pour autant, c'est la même démocratie prétendument représentative, mais qui cette fois donne le pouvoir à une autre élite « sincèrement connectée » au peuple. Celle-ci provenant plus précisément de la partie la moins embourgeoisée de la classe bourgeoisie éduquée, celle qui aime les classes populaires (le bon populisme), qui est vraiment socialiste et écologiste et qui fera ce qu'elle promet.

     

    Lorsqu'il s'agit d'un objet tel que le pouvoir, on ne peut considérer cette perspective de complémentarité des rôles comme allant de soi et qui plus est, heureuse. L'idée continue en effet à consacrer une hiérarchie sociale de type classiste en la conservant sur le plan politique. Ce faisant, elle affirme la supériorité de jugement et de décision du petit monde intellectuel, la plupart du temps les plus diplômés du supérieur. Conformément à la culture dominante, est postulée leur supériorité sur le bien plus grand monde des non diplômés ou des faiblement diplômés. Ceci est censé justifier la domination politique d'une élite sur la majeure partie de la population et l'absence à peu près totale d'implication populaire dans les décisions concrètes qui déterminent fortement notre société et la vie de chacun. En amont et à la base, en élisant des maîtres, nous signons notre renoncement. Nous entérinons notre irresponsabilité de sorte que ce qui constitue l'originalité de la démocratie, et au fond sa nature, est toujours absent. Alors que fondamentalement dans ce système, l'égalité politique des citoyens doit transcender les inégalités économiques et sociales des individus, celles-ci s'imposent politiquement comme avant la démocratie. Les bons sentiments populistes n'effacent pas la réalité de cette disparition du peuple souverain.

     

    Par ailleurs, dans une société qui affiche au sommet de ses principes - liberté, égalité, fraternité - cette inégalité politique que reprend Ruffin est doublement lourde de sens. On sait bien que la fraternité comme la liberté sont profondément subordonnées à l'existence d'une égalité de fait (ou en tous cas au fait qu'on s'en approche) et pas seulement à celle d'une égalité théorique de droit. Sans cette double nécessité, cette dernière accompagne et justifie partout de fortes inégalités sociales de fait, jusqu'à l'extrême. Il y a en particulier celles qui touchent aux différences de mise en œuvre réelle par chacun d'une liberté existentielle conséquente. Ces différences créent bien plutôt une opposition entre deux groupes sociaux inégaux : d'un côté ceux, bien moins nombreux, qui acquièrent un bon niveau de liberté de choix et de l'autre ceux qui en très grand nombre ne l'acquièrent pas. Quant à la fraternité, comment peut-elle exister vraiment dans un système où la compétition généralisée des individus est centrale et crée mécaniquement des inégalités importantes et de nouveau croissantes entre catégories sociales ?

     

    Enfin, il est permis de se demander au nom de quoi faudrait-il que le pouvoir reste concentré entre les mains (les têtes) des plus intellectuels, d'une sélection des plus diplômés, dont des militants. On ne doute pas de l'esprit de solidarité envers les petites gens qui anime François Ruffin, on veut croire à la sincérité du populisme qu'il revendique, mais il laisse dans l'ombre cette interrogation légitime. Son éclairage n'étant pas particulièrement aidé par la lumière artificielle, par l'ambiance et les rituels quelque peu aristocratiques du palais Bourbon.

     

    Un bien trop maigre secours de l'histoire.

     

    Le député picard puise alors dans notre histoire quelques très rares exemples de cette union heureuse des différents complémentaires. L'union de contemporains - intellectuels et ouvriers syndicalistes : Jaurès et Aucouturier, Aragon et Croizat, l'union du Front Populaire au pouvoir et des ouvriers massivement en grève. Des exemples qui veulent justifier la très problématique conservation, du point de vue de la gauche de la gauche, d'une conception néo-élitiste de la démocratie, même lorsqu'elle est appuyée par cette citation d 'Antonio Gramsci : « une connexion sentimentale entre intellectuels et peuple-nation ».

     

    Ici se mêlent l'émotion de la rencontre sentimentale et le choix fort peu émouvant et non démocratique d'un pouvoir qui demeure aux premiers. Parce qu'ils sont intellectuels et très à gauche, il leur est attribué une légitimité indiscutable à monopoliser le pouvoir. Les bourgeois révolutionnaires d'antan et les aristocrates ralliés auraient approuvé dans une belle unanimité. Il y a sans doute là un ingrédient du malaise maintenant connu qui est celui de François dans sa double vie de député parisien et d'habitant de la Somme, héritier de Ch'Lafleur 18.

     

    Un recours aux faits historiques, bien sûr. Sauf que les fragments relevés par François Ruffin participent d'une évolution historique globale qui, elle, n'autorise guère à affirmer, comme il le fait, que les résultats obtenus par ces unions sont indélébiles. Et surtout que cette union est reproductible aujourd'hui dans une dimension nationale et durable. Au vu du temps qui s'est écoulé, ces fragments de notre histoire disent à peu près le contraire quant au fait que de telles connexions aient une probabilité substantielle d'exister. De toute évidence, l'histoire non fragmentée suggère leur caractère éminemment conditionnel et hypothétique.

    Au total, l'argument largement conservateur du régime politique qui laisse le pouvoir à des représentants d'une élite sociale, penche fortement du côté de l'inefficacité voire de l'irréalisme à construire le changement radical de cap et le dépassement à terme du capitalisme. Cet argument est celui d'une grande partie de la gauche de la gauche et des écologistes. Malgré les épisodes du pouvoir de gauche et les unions ponctuelles heureuses des différents complémentaires, le capitalisme est toujours là, continuant à exploiter et à dérouler ses dégâts à une échelle constamment amplifiée.

      

    S'il est un fait sur lequel nous pouvons nous accorder, c'est celui de reconnaître que les enjeux sociaux et écologiques ne permettent plus vraiment de continuer à traîner dans l'illusion ou le probable minimaliste, ce qui frise alors l'incohérence logique et l'inconséquence politique. Si nous n'y prenons pas garde, le confort de nos situations concrètes de petits et moyens bourgeois nous amène en parallèle à cet élitisme conservateur et à l'irréalisme, face à des risques croissants.

     

    La réalité est celle-ci : le capitalisme démocratique a digéré les progrès obtenus par les luttes sociales et par les revendications qui ne furent que menaçantes. Lorsque la partie dominante de la bourgeoisie qui occupe essentiellement le pouvoir fut contrainte de concéder les nombreux conquis sociaux, elle a pu ensuite les annuler en partie ou les vider de leur progressisme social, sous gouvernements de droite majoritairement et sous gouvernements de gauche. Ceux-ci revenant désormais plus souvent depuis une bonne trentaine d'années, à partir du moment où la gauche se domestique très officiellement et concourt aux élections avec déférence à l'ordre global en place. Dans tous les cas, le système marchand et ses pouvoirs élus digèrent à rythme variable les contestations non radicales et non étendues. Les régressions actuelles de tous ordres ne démentent pas cela.

     

    Telle est la démocratie représentative et tel est le devenir de ses connexions électorales sentimentales. Il n'y a pas lieu d'y voir un cadre et un moyen permettant que le renversement ait lieu, que le capitalisme digérant soit enfin digéré grâce à un pouvoir « progressiste » allié aux masses.

     

    Des lendemains qui chantent par les urnes ?

     

    Lorsque aujourd'hui on regarde ce qui se passe ou s'est passé en Grèce ou en Amérique latine, on peut aussi sérieusement douter de la validité du scénario proposé. Encore plus si l'on considère que l' « empire » marchand mondial a un centre et une périphérie. On observe qu'en ce centre, dont fait partie la France, la tolérance et la possibilité d'un écart au sommet de l'Etat sont très proches de zéro. Cela signifie que la démocratie représentative y est bien davantage balisée.

    Même en périphérie de l'empire, la mince chance d'une « bonne » surprise électorale n'existe plus vraiment lorsque l'on s'approche un tant soit peu du centre. L'exemple actuel de la Grèce (49ème à 53ème selon les sources sur quelques 200 pays au classement mondial du PIB) le montre sous l'aspect du temps de survie d'une telle surprise (avec Tsipras et Syriza). Quand ce n'est pas la banque mondiale, le FMI, l'OMC ou les Etats-Unis eux-mêmes qui veillent au grain, c'est le pouvoir de l'Union Européenne et de sa banque centrale qui se combine aux premiers. A moins que ce pouvoir-là soit essentiellement l'instance exécutante régionale d'une gouvernance mondiale en dessein.

     

    La mécanique infra démocratique du balisage du pouvoir « représentatif » est partout assurée. La très grande majorité du monde politique y participe avec d'autant plus de conviction que les élus.es en tirent des bénéfices personnels de premier ordre visés par un besoin narcissisme égocentrique. Des études montrent que choisir d'exercer un pouvoir personnel sur une multitude d'individus, cela relève d'un assemblage particulier de traits psychologiques qui définit la psychopathie. Contrairement à ce que l'on peut entendre parfois, la recherche du pouvoir n'est pas une caractéristique courante que seuls quelques uns réussiraient. Dominance sans peur, impulsivité autocentrée, froideur affective... se retrouvent aussi dans les activités où s'exerce la dominance telles que le management, les affaires, la finance, le droit, l'armée, la police, la chirurgie 19.

     

    Le maintien de ce pouvoir politique concentré passe par deux phénomènes essentiels. D'une part, les divisions au sein de la masse immense des gouvernés sont entretenues. Institutionnelle et inscrite dans nos esprits et dans nos comportements, cette division s'alourdit du communal au national. D'autre part, l'accession au pouvoir et son exercice, d'abord au sommet de l'Etat, sont puissamment encadrés. De notre place (celle de la masse des gens), le travail de deux siècles d'éducation à la sacralisation de l'élection et d'imprégnation de la mythologie du mandat représentatif, aboutit à ignorer ou en tous cas à minimiser le puissant balisage et le résultat immuable que ses garde-fous produisent. Avec le pouvoir concentré, l'aventure électorale relève de l'utopie sans espoir, pour ne pas dire réactionnaire si on reprend cette formulation de Denis de Rougemont. En la matière, l'abandon du déni collectif de cette réalité lourde est lent.

     

    Tous les niveaux territoriaux de pouvoir sont concernés par l'existence de contre-feux variés et efficaces dans notre « monde libre ». Le balisage est bien sûr proportionnellement plus sévère lorsque le niveau et donc l'enjeu s'élèvent. Seules les élections municipales, bien moins captées par les partis de pouvoir, moins politisées et moins médiatisées surtout dans les communes à taille modeste (l'immense majorité des 36000 communes) peuvent donner lieu à des surprises. Mais même là, des conditions particulières sont nécessaires pour brûler les balises (voir l'expérience à Saillans). Je ne développe pas ici ce point que la municipale 2020 ne dément pas plus que les autres. 

     

    Le pouvoir n'est pas la solution, il est le problème.

     

    L'histoire du Tartuffe de Molière est doublement intéressante pour illustrer ce qui suit. Interdite de représentation à la cour par Louis XIV, la comédie fut remaniée par Molière pour ne plus déplaire au roi et à l'église. Dans cette nouvelle version plus que politiquement correcte, la pièce perd tout de sa critique du pouvoir. La virulente satire de l'hypocrisie du clergé disparaît et hommage est rendu au roi et à sa justice. Tartuffe n'est plus qu'un ambitieux immoral, un manipulateur de dévots et de « bonnes » familles. Il est réduit à un être vulgaire d'en bas qui, grâce à son habileté rhétorique, veut sortir de son état et accéder à la possession de richesses et à ses jouissances, y compris à celle de filles et de femmes poudrées de la haute. « Couvrez ce sein que je ne saurais voir. Par de pareils objets, les âmes sont blessées. Et cela fait venir de coupables pensées ». A cause du but qui est le sien (s'élever socialement) et des moyens qu'il utilise, le manant, jouisseur et manipulateur, mérite condamnation unanime et châtiment royal. La pièce n'est plus guère qu'une broderie morale autour d'un fait divers.

     

    Conformément à la tradition, les gagnants du système scolaire sont parmi les plus enclins à déradicaliser (ne plus aller à la racine des choses) leur critique de la démocratie marchande. Or, celle-ci légitime une logique économique et idéologique néo totalitaire socialement intolérable, enrobée dans un spectacle parfaitement diviseur. Même à gauche et « radicalement » à gauche, nos gagnants tirent de cet ordre quelque profit personnel, mais ce sein est couvert par l'habit de la mutation idéologique collective de la gauche socialiste qui allait peu ou prou diffuser dans ses différents courants.

    On se souvient des années 80 et du débat qui sévit au sein du PS. C'est un débat parfaitement déséquilibré car la plupart des dirigeants étaient mûrs, à l'instar de Mitterrand, pour réconcilier la gauche et l'argent. Les « affaires » qui se développent dans le monde du pouvoir (en particulier dans le récent de gauche) et qui sont mises au grand jour, ont achevé de renverser les idéaux. La valorisation de la réussite sociale personnelle au détriment de l'idéal d'égalité et du principe collectif n'était qu'une suite naturelle. Au point que le creusement des inégalités qui allait s'amplifier, n'était plus en mesure de constituer un obstacle. A peine plus de deux décennies plus tard, ce qui allait être de plus en plus analysé comme un « retour » à la société de classes, à son antagonisme et à sa normalisation politique, ne poseraient plus de problème de conscience aux esprits de la nouvelle gauche dominée par la petite et moyenne bourgeoisie.

     

    Il y a cette illusion têtue qui postule la possibilité de cette aventure et donc « l'honnêteté » de cette démocratie avec son mystère du secret des urnes - l'électeur qui vote en son « âme et conscience ». Et il y a la réalité qui consiste à prendre acte de la mécanique électorale. Fortement appuyée par la pensée dominante, par la méga machine médiatique mais aussi par l'école, elle montre avec constance qu'est interdite l'arrivée au pouvoir d'un président, d'un parti, d'une gauche ou d'autres démocrates anti-libéraux critiquant assez radicalement le capitalisme et annonçant la mise en œuvre d'une certaine rupture vers un système au service de l'humain, du vivant et de la planète.

     

    Évoquer la puissance du balisage électoral, ce n'est pas une simple hypothèse ou une spéculation éventuellement farfelue ou complotiste. C'est le résultat d'une recherche (tout juste ébauchée) des causes de cette réalité du système représentatif que constituent la production et la reproduction du même résultat politique. Outre le constat de cette reproduction, son explication atteste qu'il faut chercher une autre voie de transformation du système qu'un changement d'élite au pouvoir en connivence sentimentale avec les masses. Le système capitaliste et démocratique est certes un colosse, mais ses pieds d'argile ne sont pas dans son jeu institutionnel et surtout pas à son sommet. Le réalisme de cet espoir-là d'un autre pouvoir possible n'est qu'apparent. L'impression que la situation est accessible et que ce pouvoir fera (enfin) ce qu'il a dit, n'est au mieux qu'une perte conséquente de temps et au pire qu'un trompe-le peuple installé et renouvelé dans les imaginaires. Y compris dans ceux des partisans sincères d'un grand changement social et écologique.

     

    La démocratie directe : oui, mais ?

     

    Pourtant, malgré la domestication des imaginaires, un certain nombre d'individus envisagent une démocratie directe et un pouvoir fondamentalement partagé et exercé à la base, par les assemblées populaires.

    Je voudrais ici évoquer cette partie d'entre eux qui souhaite ou même qui exige une garantie de résultat. Ils posent en tous cas des conditions. Et quelles conditions, qui visent quels résultats ?

    Sans trop caricaturer, on peut dire que dans leur optique, il s'agit de rendre les décisions de l'assemblée décisionnelle des citoyens compatibles avec les valeurs de la gauche sociale et écologiste. Par exemple, de les contraindre au respect des grands principes de l'Écologie sociale.

     

    Or, le théoricien de celle-ci - Murray Bookchin – ne prévoyait aucune contrainte de quelque nature qu'elle soit, ni à l'entrée, ni à la sortie de l'assemblée populaire. A ce sujet, il écrit « Ce qui compte, c’est que le droit de participer existe. Ce droit monte la garde contre toute tendance autoritaire ou hiérarchique. Les portes sont ouvertes, et ce serait un véritable outrage que les gens soient forcés d’assister aux assemblées. Non seulement, une telle entreprise serait irréaliste, mais ce serait une parodie des droits fondamentaux, celui de ne pas y assister autant que celui d’y assister. L’idée, c’est que les assemblées populaires doivent être ouvertes à tous ceux qui vivent dans une municipalité et qui ont atteint un certain âge, sans restriction, qu’on encourage les gens à y assister et qu’ils soient informés des sujets qui seront discutés, de sorte qu’ils puissent décider s’ils veulent participer au processus de démocratisation. (…) » .

     

    Que cela soit ou non voulu, tout préalable d'ordre idéologique aboutit inéluctablement à ceci : ne seraient admis ou admissibles à la table de la démocratie directe et du débat décisionnel que celles et ceux qui accepteraient le socle de principes directifs préétablis.

    On conçoit ici une démocratie directe sélective puisque l'on peut facilement imaginer qu'un certain nombre de citoyens refuseront ce préalable autoritaire et qu'une majeure partie d'entre eux s'exclura d'emblée, à court ou à moyen terme. Soit par principe parce que ces individus y verront une contrainte injustifiée émanant d'une autorité supérieure à celle de l'assemblée du peuple. Soit parce que leurs convictions personnelles seront au départ opposées ou étrangères à tout ou partie du contenu du cadrage idéologique. Certains joueront le jeu mais dans tous les cas, le pouvoir ne sera pas au peuple, mais à une partie du peuple. On peut supposer que la même petite et moyenne bourgeoisie intellectuelle, plutôt de gauche et écologiste, sera surreprésentée dans cette partie-là.

     

    Ce qui aurait sans doute pu être à terme un horizon et un cheminement librement déterminés et assez consensuels dans le sens d'un changement important de cap vers la justice sociale, la justice écologique et vers une sortie plus ou moins rapide de la logique mercantile extrémiste du capitalisme, est posé ici en impératif préalable par un groupe de militant-e-s et autres convaincus. Plutôt que faire confiance au pouvoir du peuple assemblé et penser que l'assemblée du tous fera rapidement naître une révolution sociale et écologique 20, on instrumentalise la démocratie directe pour servir son propre idéal, avec renfort du pouvoir d'un groupe. En cela, cette pratique ne quitte pas tout à fait le champ de bataille idéologique, celui qui a conduit à la défaite sociale du 20ème siècle 21. Son imaginaire ne rompt pas avec le  vieux monde  de la lutte élitiste pour le pouvoir « sur » 22.

     

    Que ce corps d'idées fut nouveau et jugé par ses partisans comme étant la meilleure réponse, soit. Mais cette manière de restreindre la démocratie directe, relève toujours de la même non confiance d'une élite certaine de son bon droit envers la majorité de la population. C'est toujours une méfiance de type élitiste à l'égard d'un « extérieur » populaire, souvent globalisé et peu ou prou infériorisé. Cela se fait de temps à autre en dénonçant par exemple les travers de cet extérieur à son entre-soi. Ces caricatures vieilles comme la domination et les sociétés hiérarchisées, sont à notre époque abondamment servies par l'actualité choisie des grands médias privés et publics.

     

    Ce grand monde populaire est ainsi jugé moins capable, jusqu'à incapable. Il est perçu comme sujet plus ou moins menaçant vis à vis du progressisme politiquement correct. Même partiellement, ce segment de l'élitisme fait de nouveaux démocrates conserve la logique de domination et d'infantilisation pourtant incompatible avec la démocratie directe. On bloque sur une perception empruntée, figée et colonisante parce que non auto analysée. Elle est toujours celle du mépris de la masse, alors même qu'il est question de sortir du système reposant fondamentalement sur lui. Même implicite ce sentiment déguisé en réalisme opérationnel, trahit la rupture qui consiste à poser la base d'une toute autre situation historique. Cette dernière, c'est celle d'humains volontaires pour s'assembler et voulant désormais être des citoyens égaux de fait. Ceux-là qui réfléchissent, qui débattent et qui savent décider ensemble à égalité. Ceux-là qui sciemment, enclenchent le processus de fin de leur domination.

     

    Alors même qu'ils s'engagent dans cette voie radicalement différente, on ne leur reconnaît pas la possibilité d'y évoluer individuellement ensemble. Au contraire , instruits et éclairés, nous pouvons facilement nous accorder à nous-mêmes et à nos semblables cette possibilité. Or, il est évident que les pratiques de responsabilité et de rencontre de la démocratie directe sont un contexte fondamentalement différent d'une division, d'une dispersion pour les uns et d'un entre-soi pour les autres. Le chemin de démocratie directe, c'est bien celui d'une dynamique révolutionnaire, en ce sens qu'il est générateur de transformation personnelle autant que systémique. Qu'il soit long, n'est-ce pas au fond ce qui en fait une révolution qui ne rate pas 23 ?

    Dépasser la peur d'un changement profond et sans doute inédit, c'est nous donner collectivement une vraie (et à mon avis la seule) chance historique de sortir à temps de la logique de prédation et de la marche au pas politiquement orchestrée vers les grandes catastrophes.

     

    « Les élites et le peuple » 24.

     

    J'aimerais aborder ici l'explication de la source du mépris assez abondamment évoqué précédemment. Je redis au risque de la lourdeur que ce mépris est la base culturelle essentielle de la difficulté à réduire la division de la multitude dominée, collectivement et politiquement impuissante qui nous caractérise depuis un temps certain. Pour le combattre et lever les réticences à envisager une démocratie qui ne soit plus dirigée par des représentants de l'élite ou par tout pouvoir concentré, il est donc utile d'analyser en amont la source de la dynamique qui produit ces phénomènes.

    Les obstacles installés dans nos imaginaires sont de niveau variable, selon que l'on est par exemple, petit intellectuel de gauche, individu en situation économique, sociale et culturelle confortable ou plus clairement bourgeois. Mais la même racine nourrit les esprits des catégories sociales peu ou prou gagnantes, au niveau supérieur ou moyen. Alors, si être démocrate, c'est d'abord s'attacher à l'application du principe fondamental de la démocratie - la souveraineté populaire partagée de façon égalitaire - n'est pas démocrate qui veut, à gauche comme à droite.

     

    J'ai précédemment laissé de côté les arguments classiques qui nient la possibilité pratique d'une démocratie directe ou ceux qui la considèrent comme une utopie relevant des Calendes grecques. Ces dires moins subtils s'alimentent aussi à la sève abondante fournie par la culture de l'élitisme et de la domination qui colonise les esprits des individus les mieux lotis. Si la culture de la domination circule largement dans la population bien au delà de ces derniers, l'élitisme émane de facto de celles et ceux qui disposent des positions et des ressources suffisantes pour que le réflexe de conservation prenne le dessus. Outre cette protection conservatrice personnelle, il se trouve que leurs positions et ressources sont à un niveau qui permet d'être un moteur du renouvellement et de la diversification de cette culture. Ces catégories sociales minoritaires participent ainsi, sciemment ou non, à sa perpétuation 25. On atteint là une fonction conservatrice dans ses aspects systémiques et donc politiques.

    Ceci dit, concernant les seuls arguments sommaires illustrés ci-dessus, on peut émettre l'hypothèse qu'ils sont susceptibles d'être abandonnés plus rapidement. Cela d'autant plus qu'ils sont répandus au-delà des catégories privilégiées.

     

    Quoi qu'il en soit, la nourriture antidémocratique pour ne pas dire antipopulaire 26 est d'autant plus fournie et nécessaire par et pour les élites et leur pouvoir que furent introduites il y a deux siècles les élections. Derrière la sacralisation d'une révolution présentée comme rupture totale avec l'absolutisme de l'aristocratie, il s'est agi de glisser de l'élection divine de ses membres et de son roi à une élection profane par les urnes qui en a consacré une nouvelle. Il n'est pas irréaliste de préciser que le système politique mis en place eut comme fonction centrale de pérenniser son pouvoir malgré les retours réguliers aux urnes. Mais toutes les institutions – famille, école, travail, médias, associations... participent à la consécration et à sa légitimation démocratique.

     

    A sa création, la démocratie représentative a repris une vision multiséculaire négative de la masse. Depuis, c'est une vision qui s'est globalement policée derrière le rideau des beaux principes humanistes du libéralisme. Il n'en reste pas moins que dans le fil continu de la longue histoire de la domination, les catégories supérieures partagent cet imaginaire de la dévalorisation du peuple « des gens », de la méfiance teintée d'un mépris variable. Cette intelligence revendiquée par les uns et déniée à la masse des gens constitue le soubassement idéologique nécessaire au vieil édifice. C'est une construction englobante et une mystification qui même anciennes (ou à cause de cela) commencent à s'effriter, tandis qu'elles s'achèvent en prédation planétaire de l'économie capitaliste et de la marchandise et en dégradation sociale

     

    Le puissant déséquilibre des effectifs entre classes supérieures et classes populaires, au détriment des premières, n'est évidemment pas pour rien dans toute cette construction. Au sommet, la réalité de son écrasante infériorité numérique confère plus ou moins consciemment aux dominants qui monopolisent le pouvoir et disposent d'une situation privilégiée dans un contexte sociétal très inégalitaire, une crainte intériorisée de la masse. Cela dit, à différents degrés de conscience, c'est vrai pour l'ensemble des classes supérieures. Selon les strates, les individus y bénéficient de rentes de situation variables qui sont bien des rentes de classe. Malgré leur diversité, elles fondent une distinction forte (culturelle, symbolique et économique) entre leurs bénéficiaires et la masse de la population. Même en l'absence d'une conscience de classe claire au sein des catégories supérieures, ces rentes font naître et perpétuent un sentiment commun de supériorité qui légitime la nécessité de dominer. Que ce sentiment ne soit pas revendiqué par tous les membres de ces catégories, cela n'empêche pas ce qu'il produit. Bien sûr, comme pour tout phénomène constaté, il existe toujours un petit nombre d'individus qui échappe à l'explication.

    En faire un démenti 27, c'est un réflexe, mais ce n'est pas faire preuve à l'occasion d'éveil et de lucidité.

     

    La démocratie représentative vise à reproduire cette domination globale des mieux dotés. L'appropriation permanente du pouvoir politique est un impératif de cette reproduction. Parce que cela passe par les élections, il importe que le vote des électeurs « en leur âme et de conscience » des électeurs se traduise en consentement reconduit d'élection en élection. La possession des grands médias par les élites économiques et politiques (dont l'Etat) est une priorité qui justifie aussi l'acquisition de ces canards financièrement boiteux qui ne manquent pas dans la presse écrite. Par ailleurs, l'évolution des contenus scolaires qui s'appauvrissent en contenus critiques et donc en éducation à la liberté, en dit long sur cette nécessité d'éduquer et de sur éduquer au conformisme dans un contexte où le délabrement en cours de l'édifice devient préoccupant pour ses grands bénéficiaires.

     

    Objective et jamais totalement éliminable, cette crainte de la masse a différentes conséquences.

    La première est de l'ordre de l'obligation pour la fraction dominante des classes supérieures. L'entretien de la division du peuple, son consentement abondamment nourri et le renforcement des techniques de contrôle et de répression, ce sont des obligations qui se concrétisent dans différents dispositifs. D'autres conséquences sont davantage des dispositions d'esprit concernent l'ensemble des classes supérieures. Elles incluent des stratégies psychologiques mêlant diversion, auto justification, rassurement, tout ce qui permet éventuellement aux mieux dotés, le confort psychologique d'une bonne conscience. Cela favorise le mieux possible la reconduction d'une domination, grâce à l'élargissement de sa base sociale qui la complexifie et la renouvelle.

     

    Du fait qu'elle est en contradiction flagrante avec tout ce qui est considéré comme supérieur dans notre culture commune - ses valeurs fondamentales aux plans de l'éthique et de la démocratie - c'est a priori une domination intenable dans un temps long. Elle nécessite peut-être avant toute chose une collaboration souple et de niveau suffisant des classes supérieures et de leur composante intellectuelle. C'est une collaboration qui a aussi besoin d'une certaine participation d'individus qui critiquent l'économie capitaliste depuis les gauches.

     

    L'ordre de l'intelligence de l'élite vs le chaos de la démocratie populaire ?

     

    Avant de se nommer « démocratie représentative », ce régime politique avait été appelé « république représentative » tant à l'esprit des élites intellectuelles révolutionnaires, démocratie  et pouvoir du peuple étaient largement synonymes de danger, de désordre et de chaos. Pour cette même bourgeoisie progressiste qui voulait occuper le pouvoir, tout le pouvoir, c'était dans l'ombre ou la mi-ombre, la crainte de perdre ses privilèges et de n'en pas gagner un autre : la possession durable du pouvoir politique.

     

    Il y a de multiples exemples moins caricaturaux, mais le mépris bien connu de Sieyès pour la multitude des gueux alors qu'il était pourtant député du tiers état en dit long sur l'élitisme des castes sociales supérieures, sur leur puissant sentiment de supériorité et sur leur volonté farouche d'être les maîtres politiques pour renforcer leurs positions. De toute évidence à leurs yeux, qu'ils fussent conservateurs ou révolutionnaires, leur destin naturel était d'être les bergers du troupeau ou les grands éclaireurs du petit peuple ; c'était en quelque sorte l'ordre immuable de la société humaine, que cet ordre soit dicté par Dieu ou par les progrès de la République. Leur révolution n'était pas là pour bousculer ce qui relevait d'un ordre à tel point profitable qu'il gagnait à être naturalisé ou quasi naturalisé. Elle visait à moderniser la domination, à l'adapter aux nouvelles exigences de leur puissance et de leur ambition montantes. Il est un fait que l'installation pérenne à la fois de leur pouvoir politique et de leur idéal d'un développement du marché capitaliste, fut réussie.

     

    Depuis, dans la nouvelle hiérarchie sociale et à son stade actuel, celles et ceux qui ont quelque diplôme de l'université, quelque culture politique, économique, scientifique, sociologique et/ou philosophique ont bien du mal à sortir de l'auberge confortable de l'élitisme soft ou moins soft, de ses salons de l'entre-soi des intelligences individualisées : là où nous évoquons les livres, les films, les œuvres et les études critiques que nous fréquentons en commun. Là où nous partageons beaucoup avec ces alter ego pour qui la liberté permise s'est bien concrétisée en libre choix personnel, en culture, en confort intellectuel le plus souvent accompagné d'un confort matériel apaisant.

     

    Dans cet entre-soi quasi permanent, ensemble, nous oublions que nous sommes une minorité, membres de couches sociales favorisées. Petits ou moyens bourgeois « éduqués », nous sommes concernés et le cœur à gauche, nous pouvons penser sans sentiment d'incohérence être cernés de cons et consternés par eux. Convaincus que l'inconscience et que le conformisme « des gens » sont responsables du blocage général dans l'horreur du désordre capitaliste. Nous intellectualisons tous les jours ou presque la critique du système, mais en fonction de notre situation qui est d'y avoir plutôt bien tiré notre épingle du jeu et en fonction d'une pensée correspondante qui est de se considérer grands progressistes, adeptes minoritaires et empêchés du grand changement.

     

    Il est infiniment difficile d'extraire de soi cet air pollué du temps millénariste de la domination et de la division fondamentale en ordres, en classes, en avant-garde consciente et en foule inconsciente. Il est impossible de l'extraire totalement, mais il est possible, juste et fondamental de vouloir respirer plus librement un meilleur air commun.

    Suivant les propos de Jean-Claude Michéa - avoir la chance d'avoir eu des parents communistes (et ouvriers en ce qui me concerne) - ça aide un peu à la dépollution. Notre conception ou plutôt notre degré d'acceptation de « la démocratie du peuple, par le peuple et pour le peuple » témoigne du niveau d'embourgeoisement et de corruption élitiste qui est le nôtre. L'épouvantail brunâtre du Rassemblement National et de ses scores électoraux pèse lourdement dans la balance de cet élitisme et dans l'entretien de son corollaire de méfiance à l'égard d'une population massive perçue comme arrière-garde, au mieux non consciente et au pire assez largement fascisante. Alors, affirmer faire partie « des gens », même si cela est une lapalissade, peut facilement être qualifié de populisme : un mauvais, celui-là.

     

    Digestif.  

     

    Approche camarade, on est là.

     

    Les Gilets-Jaunes qui sont au départ du mouvement, et ce qu'il reste aujourd'hui de ses pionniers, éclairent un certain nombre de zones d'ombre du « nous la gauche et la démocratie populaire ».

    Si ce mouvement est radical ou le devient, s'il est inédit ou relativement inédit, et je reprends là des qualificatifs qui lui sont attribués dans un certain nombre d'analyses, c'est aussi par ce qu'il nous apprend. De par sa nature et sa dimension, c'est en effet une opportunité rare donnée par le réel, d'abandonner ce qu'il y a en nous de perception aliénée « des gens », de ce grand et éternellement décevant extérieur à notre entre-soi et par extension à tous les entre-soi. C'est la chance qui nous est offerte de considérer que de toute évidence il n'y a pas d'extérieur, que nous sommes les éléments de l'ensemble des dominés. Peu importe que nous formions, entre manipulation et liberté, une palette variable de consentement et de résistance, de collaboration et d'autonomie. En effet, si chacun a quelque singularité, il a beaucoup de commun avec les autres. C'est cette évidence et ce bon sens qui sont assignés à demeure dans les zones sombres de nos consciences. Non pas qu'ils soient perdus, mais dans la très longue chaîne des sociétés soumises à des pouvoirs concentrés, leur sortie de zone n'est pas une mince affaire. Malgré ses principes « révolutionnaires », notre société pour partie embourgeoisée n'échappe pas à la règle.

     

    Je ne parlerai pas ici de la « Common decency » 28 que George Orwell, socialiste libertaire, mettait en avant au siècle dernier. Pas davantage du sens aigu de l'intérêt général et de la coopération, de la conscience innée du collectif, bref de quelques unes des caractéristiques fondamentales de l'espèce humaine ordinaire qui sont bien malmenées et reléguées, sous régime de domination et de déresponsabilisation. On peut voir ou revoir à ce sujet les enseignements tirés des expériences récentes de conférences citoyennes dans de nombreux pays et faites en France par Jacques Testart. Ce sont ces caractéristiques d'homo sapiens dit Testart qui sont citées aujourd'hui dans pas mal de publications. Et on ne peut pas soupçonner tous leurs auteurs d'angélisme populiste, de testartisme fumeux ou de rousseauisme idiot.

     

    Cette réalité qui est dévoilée n'est pas une élucubration parmi d'autres sur la nature humaine bonne 29. Elle a une portée objective majeure qui peut ouvrir un chemin révolutionnaire pacifique vers un horizon souhaitable. Le renversement de perspective a commencé. Un saut est à faire pour que les imaginaires passent de la démocratie « participative » à la démocratie « tout court » sans atermoiement élitiste intempestif, ni moue intellectuelle 30. La démocratie participative est le pas prudent qui n'engage à rien et que les candidats au pouvoir promettent unanimement dans les campagnes électorales, de l'extrême droite à l'extrême gauche.

     

    Seul un changement de cadre politique peut rendre possible le passage à une société égalitaire et écologique et permettre de relever le défi de son urgence. C'est la seule perspective de rompre le « cycle des révolutions qui ratent » face au temps des catastrophes qui se profilent à une échelle inédite.

    Elle nécessite un abandon de l'illusion que le réalisme et la non utopie se trouvent dans la conservation du régime politique, historiquement, ontologiquement tenu par les plus grands bénéficiaires du désordre à l'oeuvre. La démocratie représentative n'est rien d'autre que ce qu'elle est, ce pourquoi elle fut créée 31. Un régime et un désordre alimentés par la cohorte pyramidale des adeptes du pouvoir personnel. Ils ne sont évidemment pas tous arrivistes mais pour l'immense majorité d'entre eux, leur imaginaire est enfermé dans la culture de la domination qui a besoin de minimiser et même d'ignorer les dangers qu'elle produit.

     

    Nous avons à sortir radicalement d'un chemin historique qui s'achève sur ces dangers déjà entrevus. Nous avons à abandonner la paresse issue d'une liberté relative et du confort intellectuel et matériel qui consentent. Entrer dans une aventure collective et individuelle, créative, infiniment moins risquée et bien plus libre que la survie, là est la vie .32

     

     

    1  Extrait du livre majeur de Denis de Rougemont qui vaut d'être lu : L'avenir est notre affaire - Stock - 1977

    2 « La première raison pour laquelle les hommes servent volontairement, c’est qu’ils naissent serfs et qu’ils sont élevés comme tels... on ne regrette jamais ce que l’on n’a jamais eu ». Étienne de La Boétie.

    3  A moins que la réalité révèle que cette lourdeur provenait davantage d'un imaginaire asservi.

    4 Interviewé longuement sur la chaîne du net Thinkerview - https://www.youtube.com/watch?v=txl6l5ORhzo - le libertaire revendiqué Michel Onfray dit quelque chose comme : définir la démocratie ce n'est pas compliqué, « c'est le pouvoir du peuple, par le peuple, pour le peuple ». Mais évoquant un contrat avec le peuple, il en tord le sens pour suivre Lincoln à qui la célèbre expression est couramment attribuée alors que dans son discours de 1863, il utilise « gouvernement » et non « pouvoir » ( « ...that government of the people by the people for the people...). Onfray, à l'Être un peu « troué » (son expression) même s'il n'est pas un enfant abandonné par ses parents biologiques, suit aussi De Gaulle, autre figure du père-président et autre sommet du pouvoir concentré sur un individu, qui disait un siècle après le nord-américain : « la démocratie, c'est le gouvernement du peuple, exerçant la souveraineté sans entrave ». Dans cette optique commune, le gouvernement du peuple est à prendre comme gouvernement sur le peuple, comme celui (cet au-dessus) qui gouverne le peuple et non comme auto-gouvernement du peuple.

     

    5 C'est une fébrilité plus répandue dans les milieux bobos qu'ailleurs. Valorisées par les médias et les pouvoirs politiques, les pratiques ad hoc donnent aux autoproclamés citoyens le sentiment d'être une avant-garde éclairée et un modèle pour le nouveau monde, alors que leurs revenus très souvent supérieurs au revenu moyen en font des privilégiés sociaux et des non modèles écologiques. De fait, leur style de vie les rattache aux élites de la société. Leur image intériorisée de citoyen.nes exemplaires et leur sociabilité largement consanguine les autorisent à définir comme radical, un changement réduit à des nouveaux comportements individuels dont ils seraient les pionniers. C'est une « radicalité » préservant l'ordre social et politique qui leur procure une situation globale confortable. Nos citoyens pionniers ont en grande partie échappé aux régressions des dernières décennies vécues par une population majoritaire. Un nombre non négligeable d'entre eux a même vu son niveau de vie continuer à progresser. Voir à ce sujet Le crépuscule des classes moyennes, un livre de Christophe Guilluy.

       Il n'est donc pas étonnant que leur « grand changement », plutôt bien marchandisé, néglige la racine majeure de la conservation du système politique qui est l'architecte de l'ordre présent. La puissance publique est évidemment un levier potentiel central du changement. Laradicalité faussement radicale de ces Citoyens n'est donc pas à la hauteur des enjeux. Par exemple, pour voiler son conservatisme politique, la récente collapsologie de Pablo Servigne, s'auto-désigne habilement « inclusive ». Ce mot au look joli habille la demi supercherie. Cela participe au succès de la résiliente collapsologie dans ces milieux boboïsés et dans le petit monde branché sur une spiritualité individualiste politiquement débranchée et de fait, conservatrice ou même réactionnaire et plutôt bien médiatisée.

    6 Les résultats électoraux donnés par l'Etat et par les médias ignorent la désertion, « c'est la preuve qu'ils s'en fichent, quel qu'en soit le viveau et quellle qu'en sera sa progression », répètent inlassablement nombre d'individus pourtant dotés d'un esprit critique assez nourri et parfois même de longue date. Voir à ce sujet http://novote-notears.eklablog.com/41-et-64-6-des-citoyens-de-18-ans-et-plus-a130161692

    7 Après le premier tour qui offre une variété accrocheuse sans pour autant que le suspens soit au rendez-vous de son résultat, le second tour reconduit sans faute la poursuite d'une soumission au marché, au capitalisme et à leur désordre. Toutes les élections montrent cette mécanique, à ma connaissance, fort peu décortiquée.

    8 L'égoïsme déculpabilisé érigé en vertu collective, c'est l'absurdité philosophique et l'horreur morale qui fondent le libéralisme économique et la culture bourgeoise. C'ette idéologie de classe s'impose après la révolution et à partir du 19ème siècle, elle colonise peu à peu nos sociétés. Elle le fait de manière centrale grâce à l'invention de la démocratie représentative et à la construction culturelle de sa propre imposture.

     9  Les refus d'élire (la désertion électorale), c'est la somme des abstentions, des votes blancs et des non inscrits sur les listes électorales.

    10 Voir en particulier : http://novote-notears.eklablog.com/les-vrais-resultats-des-elections-2017-c29352048

    11 Cette promesse d'une autorité politique forte et d'une grande souveraineté représentative retrouvée qui s'appuie sur une forte adhésion du peuple, est un commun de la gauche de la gauche et de la droite de la droite. Le scénario suppose que le peuple soutienne majoritairement et durablement ce pouvoir. La minorité (qui peut être proche des 50% et comprendre des individus et des groupes puissants) est quant à elle censée accepter sa soumission à des mesures de basculement important qu'elle n'a pas souhaitées. Se pose alors la question du degré de réalisme de l'hypothèse et de fragilité de l'expérience. Du côté de la gauche, que l'on pense par exemple au pouvoir de Castro à Cuba, à celui d'Allende au Chili et plus récemment à ceux de Chavez au Vénézuela et de Morales en Bolivie, face à leur contestation voire à la violence de celle-ci, survient le problème épineux de la nécessité d'un durcissement autoritaire d'un pouvoir concentré qui par nature est éloigné du terrain. Ce qui signifie un contrôle de la société et une liberté surveillée, au moyen de la police et de l'armée et/ou par le biais de citoyens, voisins, collègues et passants.

    12 « Tout peut périr par le fait du « plus froid de tous les monstres froids «  que la majorité des hommes d'aujourd'hui tient encore malgré tout pour le dernier recours contre la grande dissolution communautaire – loin de voir qu'il en est le fauteur principal. »  D. de Rougemont – L'avenir est notre affaire.

       Qu'en est-il aujourd'hui de ce constat de l'attente aliénée qu'ont les humains vis à vis de l'Etat dans les années 70 ? Après plus de 40 ans de crise et de décroyance, il me semble que les imaginaires sont davantage prêts à entendre une critique forte de l'Etat et ce que sont les pratiques de démocratie directe sans ce pouvoir politique au sommet.

    13 François Bégaudeau, Christophe Guilluy et Jean-Claude Michéa par exemple, décrivent bien cet embourgeoisement des esprits de gauche, particulièrement chez les cadres et professions intermédiaires. Cela consiste pour ceux-ci à subordonner leur vision sociale et leurs idées de transformation globale à leur propre situation de plutôt bon, voire de très bon confort économique, social et culturel. Cet égocentrisme et cette confusion sont favorisés par un fort entre-soi qui déroule leur vie concrète à grande distance des classes populaires, autrement dit de la majorité de la population. Leur imaginaire qui a ainsi perdu cette référence sociale populaire qui fonde la force politique de la gauche, s'est teinté d'un élitisme (évidemment) assez peu assumé. La gauche se droitise ainsi à sa (nouvelle) base comme à son sommet. Numériquement réduite, socialement embourgeoisée et politiquement néo conservatrice, la gauche a perdu le vieux combat idéologique. C'est un facteur central du triomphe d'un néo libéralisme qui, sous pouvoir de droite ou de gauche, maltraite d'abord et depuis plus de 20 ans les catégories populaires bien avant les autres. On comprend que pour cette gauche, le surgissement des Gilets-Jaunes fin 2018 fut une surprise et objet d'un certain dénigrement.

    14  À l'accaparement du pouvoir par les élites bourgeoises et à la maltraitance des classes populaires majoritaires par l'Etat, l'anthropologue Alain Bertho donne dans son livre - Contre l'Etat, la politique  - 1999 - cette explication : «  le peuple est subversif ».

    15  Il est où, le bonheur Les Liens qui libèrent - novembre 2019.

    16 Des auteurs utilisent alors la notion de « pouvoir séparé ». C'est par exemple le cas de Pierre Clastres  https://libertaire.pagesperso-orange.fr/archive/2000/228-mai/clastres1.htm,  de Guy Debord

          http://parolesdesjours.free.fr/spectacle.pdf  et de John Holloway.

    17 Après avoir été le but puis réduite à une hypothèse, la révolution est désormais assez largement crainte à gauche. Ce qui permet à une partie de l'extrême droite très active sur internet d'occuper habilement le terrain abandonné.

    18 Ch'Lafleur c'est le Guignol picard qui parle picard, qui rosse la flicaille, rabaisse les bourgeois et prèfère la rue, boire et manger, que travailler. Le petit théâtre de marionnettes - chés cabotans d'Amiens - revenait (assez curieusement quand même sous De Gaulle et dans la société des années 50) presque chaque année dans des écoles de nos villages de la Somme (pour moi : Buire-sur-Ancre). Ch'lafleur qui nous faisait bondir de joie a bien marqué ma mémoire.

    19 « ...Autrement dit, les hommes et les femmes politiques exercent un métier où une forme légalisée et précisément calibrée de psychopathie constitue un atout indéniable pour réussir... » : extrait d'une étude anglaise pas totalement objective. Son auteur utilise en effet sa subjectivité propre, entre autres politique, pour distinguer de manière manichéenne les bons et les mauvais psychopathes. C'est ce même manichéisme qui de manière très courante caricature et soumet le réel à l'idéologie, qu'elle soit politique, morale, religieuse, etc... https://www.cerveauetpsycho.fr/sd/psychologie/les-politiques-sont-ils-des-psychopathesnbsp-9326.php

    20 Annick Stevens  http://xn--universit-populaire-de-marseille-j3c.net/philosophie.html co-initiatrice en février 2020 de l'Institut d'écologie sociale et de communalisme http://institutecologiesociale.fr/fondation-institut-ecologie-sociale-communalisme/ a ce même point de vue. Elle aide ici à clarifier les notions et le contenu de la pensée de Bookchin qui par ailleurs n'a rien d'une idéologie dogmatique et figée : « Il est vrai que le municipalisme libertaire (ou communalisme) est lié à l’écologie sociale, mais pas au sens d’une obligation préalable. L’idée est que le choix de l’écologie sociale se fera progressivement, au fur et à mesure que les assemblées réfléchiront, compareront les avantages et les inconvénients des différentes organisations possibles, s’obligeront à prendre en compte toutes les situations et toutes les conséquences de leurs modes de vie. »

    21 Le 25 mai 2005, Warren Buffett, 3ème fortune mondiale, déclare sur CNN :  Il y a une guerre des classes que ma classe est en train de la gagner, alors qu'elle ne le devrait pas (« It's a class warfare, my class is winning, but they shouldn't be ») . ll rectifia quelques temps après : nous l'avons gagnée (« we won »).

    22 John Holloway  l'oppose avec pertinence au juste pouvoir « de » chacun - Crack Capitalism - 2012. Parmi ses autres livres : Changer le monde sans prendre le pouvoir - 2002

    23 Référence à la sortie du « cycle des révolutions ratées » qu'ambitionne l'essai d'Eric Hazan et de Kamo - Premières mesures révolutionnaires : Après l'insurrection – La Fabrique – 2013.

    24 Interview d'Emmanuel Todd sur la chaîne du net QG : il semble avoir besoin d'avertir ceux qui regardent ...« moi, je  suis un vrai démocrate », avant de dire un peu plus tard avec force conviction  « je n'aime pas du tout le populisme »  et de préciser plus mollement « je ne suis pas élitiste ». Soit. Mais le propos se précise avec cette distinction : « en  démocratie, il faut un peuple et il faut des élites ». Son interviewer, Aude Ancelin, qui baigne dans le même élitisme  qui veut ne pas en être un puisqu 'il vient d'une gauche, elle, vraiment à gauche, de renchérir avec satisfaction: « vous n'êtes pas comme Jean-Claude Michéa et autres adorateurs de la vertu des classes populaires »... qui pensent que « c'est dans ces couches-là que les vertus exemplaires seraient conservées ». Lorsque l'on connait un peu la pensée de Michéa et de Onfray par exemple comme « autre », on est un peu surpris par cette lecture déformée et crispée. Penser que les vertus existent ici et là mais pas plus dans les élites intellectuelles que dans la masse, cela semble assez insupportable aux deux complices pour qui le pouvoir doit revenir à des membres intelligents des élites hautement diplômées. Comme qui ? Devinons. 

    25 «... on parle de « culture dominante », non seulement parce que c’est la culture des classes dominantes mais aussi   parce que cette culture s’impose aux membres des classes populaires. » Vincent Coulet http://www.perplexe-   cite.org/non-classe/quest-ce-que-la-culture-populaire/. C'est une analyse sociologique qui prolonge celle de Pierre   Bourdieu.

    26 On peut constater combien il est courant d'entendre : « mais c'est quoi le peuple, sauf un truc abstrait du passé »   ou bien « les classes populaires, ça n'existe pas ou ça n'existe plus ». En somme, tous quasiment égaux.

    27 « ce n'est pas vrai parce que je connais quelqu'un qui... ». Cette dénégation naïve n'est pas l'apanage d'individus   jeunes que j'ai croisés dans l'enseignement. Elle est celle de tous les individus inhabitués à la réflexion distanciée   par rapport à l'individualisme prédateur qui endort la conscience collective des humains.

    28 Cette caractéristique sans doute importante et très manifeste en particulier dans les situations de drame, est en revanche bien reléguée dans le quotidien ordinaire d'une très longue histoire de domination, de division et de grande déresponsabilisation politique des humains. C'est une raison majeure au fait que sa réalité est contestée à droite comme à gauche.

    29 Je ne manque pourtant pas le plaisir de redire ici cette déclaration du cinéaste Aki Kaurismäki : « les Hommes sont bons, les gouvernements sont des merdes ».

    30 L'intellect est un formidable outil au service de toutes les causes : celle de l'union et de l'émancipation comme celle de l'auto justification réactionnaire, de l'entretien de la division et de la domination que tout cela favorise.

    31 L'évolution historique de l'Etat dans les pays de la vieille Europe est longuement analysée par Marx et Engels. Après plusieurs siècles d'intervention constante de l'Etat, de répression sanguinaire et d'expropriation anarchique (surtout des paysans), au stade suivant de développement élevé du capitalisme il n'est plus besoin d'un tel recours systématique :

        " L'Etat de la classe la plus puissante, de celle qui domine au point de vue économique et qui, grâce à lui, devient aussi classe politiquement dominante, acquiert ainsi de nouveaux moyens pour mater et exploiter la classe opprimée ". F. Engels. 

     " Dès que ce mode de production atteint un certain développement, son mécanisme brise toute résistance... Surpopulation relative (qui limite salaires et capacité d'organisation des salariés) et sourde pression des rapports économiques achèvent le despotisme du capitaliste sur le travailleur. Parfois, on a encore bien recours à la contrainte, à la force brutale, mais ce n'est que par exception". K. Marx

       Qu'y a-t-il de dépassé dans cette analyse de la « nature » de l'Etat , une analyse qui d'ailleurs ne se cantonnait pas à une observation excluant le futur du système ?

       Rien de fondamental doit-on dire, si on ne se laisse pas duper par la prétendue neutralité potentielle de l'Etat, voire par son idéalisation déniant les faits réels. Ce que fait désormais une gauche intégrée pratiquant l'auto destruction de ses racines. Ces faits, c'est par exemple l'Etat qui depuis plusieurs décennies dégrade les services publics et précarise au même rythme leurs employés. Puis, le présent de répression violente des soulèvements populaires qui se font un peu partout, actualise « l'exception » soulignée par Marx. Mais cette gauche des petits et moyens embourgeoisés qui ne brille pas par sa capacité à extraire du terreau de sa réflexion la subjectivité de ses petits privilèges sociaux et de sa situation matérielle confortable, trouve désormais l'analyse simpliste. Passés dans les catégories supérieures, leur point de vue commun mêle de la critique et de la conservation d'un système pathologique et dangereux.

       Or, sortir de ce dernier, cela ne se fera pas sans abandonner l'escroquerie du régime a-démocratique et ploutocratique qu'est la démocratie représentative. Il ne s'agit pas d'un choix idéologique et donc subjectif parmi d'autres, comme être de gauche, du centre ou de droite, comme être mondialiste ou souverainiste, etc... Il s'agit justement de s'en extraire pour raisonner à un plan objectif au niveau plus élevé. Ce qui est difficile mais nécessaire.

    32 Pour clore ce chapitre avec humour, résistant à l'enfermement de l'esprit construit par les choix manichéens qui ne représentent jamais la réalité, à la question - la vie est-elle une merveille ou la vie est-elle une merde ? - je donne cette réponse : la vie est une mer-de-veille.